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Jean-Brice Sénégas, nutritionniste : “Dans les cantines, on mange du vide !”

“S'il n'y a pas de cuisine sur place, c'est souvent mauvais signe !”

En plein débat sur les menus proposés dans les cantines scolaires, la qualité des repas est remise en question par de nombreux parents. Nous avons demandé son éclairage au diététicien nutritionniste Jean-Brice Sénégas (1). Bon appétit... et bon courage à tous !

Mange-t-on aussi mal qu'on le dit dans les cantines ?

JEAN-BRICE SÉNÉGAS : Il est difficile de dresser un état des lieux car tout dépend des moyens financiers dont les collectivités disposent, de la volonté politique des élus et de l'éventuelle implication des parents. D'une cantine à l'autre, les enfants peuvent manger le meilleur comme le pire. On constate néanmoins que les géants de la restauration collective (Sodexo, Elior, Compass Group, etc., ndlr) grignotent de plus en plus de terrain sur ce marché.

Quel est votre regard sur ces prestataires privés ?

Leur présence est le signe du désengagement des élus. Le service public de restauration scolaire est lourd et complexe. Il suppose de prendre en charge la gestion des ressources humaines, de procéder à des investissements, de passer des marchés publics. Les sociétés de restauration collective sont très fortes pour apporter des réponses clés en main. Mais cela a un coût ! Ce ne sont pas des philanthropes. Pour être rentables et rémunérer leurs actionnaires, elles doivent faire des marges. La part du budget allouée aux denrées est minime en comparaison de leurs frais de gestion.

Peut-on en déduire l'équation "prestataire privé = malbouffe" ?

Les choix alimentaires effectués par les prestataires privés sont guidés par les rabais qu'ils vont pouvoir obtenir. Or ces rabais sont rarement faits sur des produits bruts de qualité. Ils concernent la plupart du temps des denrées qui viennent de loin, des fruits ou légumes qui n'ont pas mûri sur pied, etc. Ces produits possèdent moins de nutriments et vitamines. Au bout du compte, les enfants se retrouvent avec des assiettes de qualité moindre, voire médiocre.

Amidons, exhausteurs de goût, sucre, on retrouve aussi ces intrus dans les cantines gérées par les collectivités locales...

Les cantines sont aussi le royaume des produits ultra-transformés...

Ces produits présentent l'intérêt d'être moins chers car ils sont fabriqués avec des denrées peu onéreuses. Pour schématiser, on achète seulement 60 % d'un aliment brut auquel on va ajouter des amidons, des exhausteurs de goût, du sucre, etc. Ils sont beaucoup plus faciles à utiliser puisque leur durée de vie est supérieure. Mais attention, les prestataires privés ne sont pas les seuls à mettre ce type de produits dans les assiettes des enfants. On peut aussi les retrouver dans les cantines gérées par les collectivités locales.

Ces produits ultra-transformés sont-ils dangereux pour la santé, notamment à cause du sucre qu'ils contiennent ?

On manque encore d'éléments pour répondre à cette question. Une étude de l'Inserm publiée en février 2018 dans le British Medical Journal (2) a permis de montrer qu'une augmentation de 10 % de la proportion d'aliments ultra-transformés dans le régime alimentaire était associée à une augmentation d'environ 10 % des risques de développer un cancer, tout en admettant que les résultats ne permettaient pas de confirmer l'existence d'un lien de cause à effet. Une chose est sûre, ces produits sont constitués de calories vides. Dépourvus de nutriments, vitamines et antioxydants dont les enfants ont besoin pour grandir en bonne santé, ils sont inintéressants sur le plan nutritionnel. La présence du sucre pose un autre problème : il dénature le goût des aliments pour les rendre plus attractifs. Or si on habitue un enfant à manger un produit sucré, il risque de le repousser le jour où on lui proposera le même aliment préparé "maison".

Qu'en est-il des autres cantines, celles des EHPAD, hôpitaux, entreprises ?

On peut y retrouver le même type de produits. La question à se poser est la suivante : « existe-t-il un lien entre ceux qui fabriquent le repas et le consommateur final ? » S'il n'existe pas, notamment parce qu'il n'y a pas de cuisine sur place, c'est souvent mauvais signe !

À quoi ressemble la cantine idéale selon vous ?

Il existe heureusement des initiatives formidables ! Certains chefs vont s'achalander auprès de fournisseurs locaux. Dans certaines cantines, les repas sont cuisinés sur place le matin pour le midi et élaborés en partenariat avec un(e) diététicien (ne) indépendant(e). Ça représente énormément de travail mais c'est la seule manière de proposer aux enfants une véritable éducation au goût. Il ne faut pas oublier que pour beaucoup d'entre eux, le repas du midi à la cantine est le plus équilibré, ou en tout cas, il est censé l'être.

(1) Après une carrière de journaliste spécialisé dans l'alimentation (marketing, santé, actions du consommateur, etc.) Jean-Brice Sénégas a passé un diplôme de diététicien nutritionniste. S'il s'intéresse désormais plus particulièrement à la diététique hospitalière, il connaît l'univers des cantines scolaires pour y avoir effectué un stage durant sa formation.

(2) À lire via l'url BMJ 2018 ; 360 : k322

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